En prévision de la sortie du premier album de Lionel Boissarie, la voix des sirènes s’est rendue chez lui à Bordeaux au cœur du quartier Saint-Michel afin d’obtenir quelques éclaircissements et confidences sur la genèse de l’insolite « Ungawa ».

 

La voix des sirènes : Comment réalises-tu ta musique, quel est ou quels sont ton ou tes modes opératoires ? Ta façon de procéder te satisfait-elle ou envisages tu encore à l’avenir de la transformer ?

Lionel : J’enregistre ma musique sur ordinateur à l’aide d’un logiciel qui s’appelle « Acid », dans la pièce d’un appartement où il ne faut pas faire beaucoup de bruit à cause des voisins. Ce n’est pas très bien insonorisé donc j’exclus par exemple les percussions. La musique que je fais est donc le résultat des circonstances ; résultat des circonstances parce je ne peux pas faire beaucoup de bruit et parce que j’utilise les instruments que j’ai pu récupérer ou dont on m’a fait cadeau comme un lamellophone et un balafon fabriqués pour les touristes et ramenés d’Afrique par des membres de ma famille. Un copain m’a aussi ramené du marché Saint-Michel un accordéon asthmatique qui joue très mal, mais qui me permet de plaquer trois accords… J’ai également des guimbardes, bref d’une façon générale des instruments pour lesquels on n’a pas nécessairement besoin d’apprendre une technique particulière et dont on peut facilement sortir des sons. Je me suis intéressé à l’harmonica lorsque j’étais en classe de terminale, aussi c’est plus facile pour moi d’utiliser l’harmonica, c’est l’instrument que je maîtrise le mieux, j’en ai pas mal et par conséquent il y en a énormément dans ma musique. Après il y a les instruments que j’ai trouvés par hasard comme un vieux cornet à piston, une auto-harpe…

LVDS : Tu n’as pas utilisé d’instruments disons plus  « classiques ou conventionnels » ?

Lionel : Si un piano, mais je ne suis pas doué au piano. Enfin j’ai utilisé les verres en cristal de chez mes parents. D’une façon générale j’utilise ce que je trouve.

LVDS : La musique pourrait donc évoluer si tu avais un lieu pour la jouer plus adapté, tu pourrais insérer des percussions ?

Lionel : Oui c'est-à-dire qu’il n’y a pas de protocole défini, pas de programme d’ordre conceptuel, j’aime la musique et j’essaie de faire des expériences là-dedans.

LVDS : Tu disais que tu utilises un logiciel, mais ce logiciel te sert juste en fait à enregistrer les notes que tu tires de ces instruments ? Tu ne composes pas sur l’ordinateur ?

Lionel : Tout à fait, l’ordinateur me sert juste de multipiste, en même temps parfois je fais un peu de découpage sur les pistes.

LVDS : A l’écoute de tes morceaux on pense parfois à Pascal Comelade, Tom Waits, Moondog voire Danny Elfman, écoutes-tu et apprécies-tu ces artistes ? Y a-t-il des musiciens ou des genres musicaux dont tu reconnaisses volontiers l’influence dans ton travail ?

Lionel : Je connais les deux premiers que j’aime mais ce n’est pas ce que j’écoute en fait.

LVDS : Qu’écoutes-tu alors ?

Lionel : J’écoute de la musique pygmée, ou de la musique de Centre Afrique, d’orchestres dont chaque instrumentiste ne sort qu’un son, qu’une note en soufflant dans une trompe de bois. J’écoute également de la musique mongole.

LVDS : Donc des musiques traditionnelles ?

Lionel : Oui des musiques traditionnelles et j’écoute aussi beaucoup de musique du 16 ème et 17 ème siècles. Pas mal de musique baroque.

LVDS : Ces musiques repassent-elles sous une forme ou une autre dans tes propres compositions ?

Lionel : ça ne repasse pas vraiment, enfin c'est-à-dire que j’adore les voix des chanteurs lyriques, mais je ne suis pas aussi athlétique donc j’essaie de tricher, je me sers aussi du logiciel pour changer la tonalité d’un morceau, pour chanter plus aigu ou plus grave de manière à retrouver toutes les tessitures de ces chanteurs, ténor, basse, haute-contre…

LVDS : Tu fais toutes les voix ?

Lionel : A peu près. Quant aux artistes comme je ne me réfère pas volontairement à tel ou tel, c’est une musique qui marche et qui se crée en autarcie, après il est bien évident qu’inconsciemment… C’est sûr on retrouve de la pop, du folk…

LVDS : Le titre du disque renvoie au langage qu’emploie Tarzan dans la jungle pour parler aux animaux, quelle(s) signification(s) ce titre revêt-il pour toi ?

Lionel : Le premier acteur qui interpréta Tarzan à l’écran, Johnny Weissmuller a eu un vocable qui lui est sorti de la bouche, c’était une sorte de « yaourt » que Cheeta, la guenon de Tarzan, était sensée comprendre. Ce yaourt sonne primitif, Congo, sauvage, années 30 tout ça, et en même temps, ce qui est marrant, c’est que Ungawa est une île au large du Canada.
L’autre trouvaille étonnante est le cri qu’il pousse pour rameuter les animaux de la jungle.
Il était américain d’origine autrichienne, je crois qu’il était né en Hongrie et le cri qu’il pousse est une tyrolienne, du yodle. (Yodle qu’utilisent aussi les Pygmées en Afrique équatoriale.)
En fait, en faisant ce disque, je m’identifierais presque à Johnny Weissmuller lorsqu’il joue Tarzan. Dans le sens où il joue au sauvage et moi je joue « à » la musique, je joue au musicien, c'est-à-dire que je m’y crois vraiment comme lui s’y croyait en jouant Tarzan.

LVDS : Tu ne rechercherais donc pas à mettre en place au travers de ta musique une sorte de langage universel ?

Lionel : En fait lorsque j’écoute de la pop, du rock , du folk, de la musique baroque, je ne comprends souvent jamais les paroles même lorsque c’est chanté en français. Mais l’écoute des voix sans comprendre ce qu’elles disent suffit à m’étourdir agréablement.
C’est pour ça que j’ai fait des musiques avec des voix qui articulent plus ou moins des sons.
Ce sont des similis chansons.

LVDS : Quand on entend des mots dont on comprend le sens, on peut focaliser son attention dessus et finalement d’une certaine façon le sens prend le pas sur la musique et ce qu’elle provoque comme émotions de façon complexe, avec ta méthode et ton recours sur certains morceaux au « yaourt » on entend des choses qui font penser à d’autres choses, on ressent plus qu’on ne comprend.

Lionel : Oui et comme je travaille en autarcie j’estime que ce n’est pas « mon métier » de trouver des paroles et du sens, j’ai toujours été nul à ça.

LVDS : Et les titres alors qui caractérisent tout de même les morceaux, d’où viennent-ils ?

Lionel : En fait je me suis dit qu’il fallait donner des titres pour rester dans la forme d’une œuvre qui s’écoute. Enfin, j’aimais bien le fait d’essayer de retrouver ce qui se dit derrière le « yaourt » et d’essayer de donner des titres qui s’en rapprochent phonétiquement. C’est pour ça que quand je chante onnnéédannléétan-aaani, ça fait un peu « on est dans les temps Annie ». Je joue un peu au médium en essayant de retrouver du sens derrière le chaos.

LVDS : Qu’est ce que ta musique peut provoquer chez les gens, as-tu envisagé la façon dont les futurs auditeurs vont la recevoir ?

Lionel : Non, pas du tout, j’ai fait écouter ça à un ami qui aimait bien l’aspect marche bancale.
Moi aussi, j’aime bien cet aspect. Cela me fait penser que j’avais essayé de créer des rythmes percussifs en marchant et en transportant des objets dans mes poches. Ce qui m’intéressait c’était que c’est rythmes semblaient se situer entre l’état de culture et celui de nature.
Ce que j’aime bien dans ces musiques ce sont aussi les fins : parce que quand je commence un morceau avec un instrument, je ne sais pas ce que sera ce morceau. J’emploie alors un autre instrument qui accompagne le premier jusqu’à la fin de la première piste que je n’avais pas vu venir. Donc parfois, les instruments restent en suspend, interrompus dans leur phrasé par une fin trop brusque.

LVDS : Ta musique véhicule beaucoup d’émotions comme on le suggérait précédemment, la joie bien sûr mais surtout la mélancolie, pourquoi ?

Lionel : Parce que parfois je m’y crois, je me mets en situation pour passer un moment chargé d’émotion. Quand je commence à enregistrer, je commence par une ligne de basse, puis je fais une autre piste avec le balafon ou la boite à clous et je me laisse emporter, c'est-à-dire que je ne décide pas, quand je me mets au travail, de faire un morceau tragique ou mélancolique.

LVDS : Un certain nombre de morceaux font référence directement ou indirectement à l’enfance. Es-tu nostalgique d’un temps passé, d’un âge d’or perdu ?

Lionel : Non, il n’y a qu’un morceau qui s’appelle « dodo l’enfant do »

LVDS : Oui, il y a aussi des onomatopées, des balades, des berceuses plus exactement

Lionel : Oui il y a des berceuses, mais ça c’est parce que ma mère a suivi un stage avec Martenot qui, paraît-il, conseillait aux mères qui voulaient des enfants qui chantent juste de leur chanter des berceuses dès la naissance. Une berceuse reste dans l’oreille et ressort rapidement dès qu’on utilise le processus de travail qui est le mien. Mais je ne suis pas plus nostalgique que les autres de mon enfance.

LVDS : Tes autres activités musicales au sein des formations affiliées à la voix des sirènes telles que Timor Tim ou Jettatore ont-elles eu une influence quelconque dans tes réalisations personnelles ?

Lionel : Timor Tim quand même oui, parce que quand tu t’exerces à apprendre un style de musique, ça reste dans ton oreille et ça ressort inévitablement et puis il y a l’harmonica. Quant à Jettatore c’est un travail complètement différent puisque dans Jettatore on ne contrôle pas grand-chose. C’est un rassemblement de plusieurs individus, de plusieurs sensibilités musicales différentes qui essaient de livrer ensemble quelque chose de commun et qui en même temps essaient d’apporter chacun leur pâte. On a moins le temps de construire c’est plus immédiat.
Dans la musique que je fais je reviens plusieurs fois sur un même morceau.

LVDS : Pourtant pour certains titres on a vraiment une impression de spontanéité, de premier jet.

Lionel : Oui pour les premières réalisations, après pour d’autres morceaux je n’ai pas pu me retenir d’y retravailler sans cesse.

LVDS : De la même façon quels liens fais-tu – si lien il y a- entre ta musique et ton travail artistique plastique ?

Lionel : Je ne désolidarise pas la musique de mes autres activités, cela a un rapport dans le fait que comme pour d’autres travaux que j’ai faits, j’aime bien déléguer mes décisions aux circonstances extérieures. Et justement dans la pochette, c’est un procédé de production d’images qui est inspiré du peintre Vincent Corpet. Il appelle ça les « peintures analogiques ». Ce sont des figures qui naissent et s’engendrent entre elles par analogies visuelles. Dont toute narration est évacuée. Cela raconte seulement les endroits où l’esprit de l’auteur a pu projeter du figuratif. Avec ce procédé j’ai l’impression d’être spectateur de ce que mes facultés de projection sont en train de réaliser.

LVDS : Quand tu étais aux Beaux Arts tu avais déjà travaillé sur la musique, sur la voix ?

Lionel : Oui je partais des Beaux Arts jusqu’à chez mes parents en solex et j’accompagnais le son du moteur du solex avec ma voix et j’enregistrais ça. Ca faisait une espèce de mélopée à la Meredith Monk. Dans les « cotes » le son du moteur était de plus en plus grave et dans les descentes, plus aigu. Je faisais des harmonies par-dessus ce bourdon.

LVDS : Pour finir à qui s’adresse ta musique ? As-tu des prescriptions ou contre-indications particulières à formuler à l’encontre des futurs auditeurs potentiels ?

Lionel : Il ne faut pas avoir l’oreille absolue parce que parfois c’est un peu faux mais sinon je ne saurais prescrire aucune chose particulière.

 

 

 

LA VOIX DES SIRENES

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